Nous avons pris connaissance d’un texte intitulé « Nous voulons vivre ! ». Nous partageons l’essentiel de ses positions et de ses éléments d’analyse. C’est cette solidarité politique qui nous pousse à proposer de nous appuyer sur son propos pour rebondir et ouvrir un autre champ, celui de la question sociale et du travail.
Le confinement partiel imposé par la crise sanitaire, dans les conditions et les variations que nous connaissons, résulte certes d’une difficulté extrême du système à faire face à la crise sanitaire. Cette difficulté est déterminée par un service public de santé limité, dégradé et par pans entiers liquidés par des politiques austéritaires. Elle se déploie dans un processus de valorisation capitaliste et de commandement dont, à juste titre, le texte souligne la dimension écologique.
Le travail vivant, élément central
Mais il faut, à notre sens, prendre en compte un élément central. Nous sommes dans une nouvelle phase de l’économie mobilisée, du commandement. La crise sanitaire sert de point d’appui non seulement pour « rétrécir » et appauvrir la vie en général mais pour asservir le travail vivant, pour le capter et lui imposer des qualités nouvelles, pour lui arracher la résistance, la capacité de lutte et d’auto-détermination qui sont les siennes.
La menaces de la catastrophe, les moyens officiels de la conjurer passent tous par la soumission, par l’acceptation de remettre totalement et inconditionnellement notre vie, notre travail vivant, aux mains du bloc dominant.
Le capital et les appareils étatiques se saisissent de nos vies dans ce qu’il y a de plus intime. Ils détiennent spectaculairement la possibilité de conjurer la menace, d’être soigné.e ou vacciné.e. La contrepartie est notre obligation d’accepter le risque d’un travail gouverné tout entier par l’entrepreneuriat.
Une soumission de qualité nouvelle
La crise sanitaire est l’occasion de nous soumettre dans une qualité nouvelle. Elle ouvre une période d’exception qui doit nous disciplinariser, casser les contestations, éradiquer les résistances et donc du coup fermer la ligne des possibles. La fin ou la contention de la crise sanitaire prolongera cette soumission dans une nouvelle phase de crise politique, sociale et économique du système.
Nous en sommes au début. Aujourd’hui, pour le bloc dominant, tout dans la vie peut être réduit, démantelé ; tout doit être décliné au récit de la catastrophe, tout doit être acceptation de s’en remettre au commandement, à la domination. La tension entre « la santé et l’économie », selon le dilemme complaisamment réitéré par la communication de l’état de siège, revient à dire que nous devons renoncer au souci de notre vie, à notre revendication de l’auto-détermination pour décider des conditions de défense de notre existence et nous en remettre à merci au commandement.
L’affirmation de cette exigence, le fait que la protection contre la menace sanitaire soit exclusivement, dans ses agencements comme dans ses objectifs, du ressort du patronat et des appareils étatiques entend frapper au cœur notre capacité d’antagonisme.
Combattre
Reculer sur notre capacité de contre-pouvoir sur le noyau dur du travail vivant revient à perdre la bataille décisive de la question sociale. Céder sur notre capacité d’auto-détermination pour peser sur nos conditions de santé, de sauvegarde, d’intégrité de notre travail vivant revient à faire avancer à bride abattue l’asservissement, l’attaque généralisée contre l’institution salariale, contre notre capacité de pouvoir populaire, contre notre puissance.
C’est pourquoi on ne peut affirmer que nous voulons vivre sans du même coup soutenir que le dilemme de la soumission ou de l’auto-détermination du travail est décisive et donc que cette lutte doit être ouverte ici et maintenant. C’est un combat radical pour notre intégrité.
Naturellement, toutes les conditions pour de grandes batailles stratégiques ne sont pas réunies. Mais celles de la résistance le sont. C’est bien un long chemin d’accumulation de forces, de construction de puissance qu’il faut parcourir. Chaque élément d’auto-valorisation, chaque combat pour ponctuel qu’il apparaisse, a une capacité de défi, de signe, de communication qui peut précipiter l’organisation de la lutte et le rapport de forces. Car le « nous voulons vivre » sur le terrain de la question sociale c’est affirmer le travail vivant, défiant, combattant face à l’ordre établi.
Le présent texte a été édité par le Collectif « Nous voulons vivre« , nous le reproduisons ici à l’identique.
Nous voulons une troisième voie, entre ceux qui font semblant de croire qu’il n’y a pas de pandémie, et les tenants du long confinement de la vie sociale. Dans l’immédiat :
#NOUSVOULONSVIVRE. La vie sociale, culturelle, associative, et les libertés démocratiques doivent devenir prioritaires. Le moment est venu. Nous ne sommes pas des robots, mais des êtres sociaux. Si, en contrepartie, il faut mettre entre parenthèses certaines activités, commençons par les plus inutiles pour la population, les plus dégradantes socialement, ou les plus polluantes.
#NOUSVOULONSVIVRE. Il faut des services publics adaptés aux besoins sociaux. En particulier, il est temps de renverser la vapeur en investissant massivement dans la santé hors du marché, en améliorant les conditions de travail, de salaire, les qualifications des soignant·e·s et la prise en charge des patient·e·s, en construisant un véritable pôle public de la recherche et du médicament.
#NOUSVOULONSVIVRE. Il n’y a plus de temps à perdre pour s’attaquer aux racines du problème. Luttons contre la déforestation mondiale, en imposant des normes strictes sur les produits importés, supprimons l’élevage industriel de masse, et amorçons une véritable transition écologique.
TOUT NE DOIT PAS CONTINUER COMME AVANT. IL N’Y AURA PAS DE SORTIE DE CRISE SANS CHANGEMENTS SOCIAUX, DEMOCRATIQUES ET ECOLOGIQUES. ILS NE NOUS EMPECHERONT PAS DE VIVRE !
C’ETAIT IL Y A BIENTOT UN AN L’événement nous a sidéré. Nos repères ont volé en éclats, et nous avons suivi sagement le chemin qui nous était imposé d’en-haut. Isolé·e, chacun·e a essayé de continuer à vivre, à sa manière, avec plus ou moins de transgression. Aujourd’hui, l’hébétement a fait place à la résignation. Nous ne savons plus qu’attendre, mais nous attendons. Nous guettons la parole qui nous libèrera, nous scrutons l’oracle statistique pour entrevoir un avenir meilleur.
LE PROVISOIRE DEVIENT PERMANENT Nos vies se sont réduites à leurs aspects les plus fonctionnels. Boulot-dodo. La mort sociale, l’enterrement de nos désirs et de nos aspirations. Combien de morts-vivant·e·s parmi nous ? Nos existences sont devenues rachitiques : toute la complexité et l’épaisseur de nos relations, de nos activités culturelles, sportives, associatives, sociales, politiques, de nos espoirs aussi, semblent n’avoir pour eux aucune valeur. La richesse de nos rencontres, l’amour, l’amitié, la famille et la camaraderie : oubliées, méprisées, recluses dans la clandestinité.
Nous ne décidons plus de rien. Rythmées par les avancées scientifiques rapportées, soumises aux arbitrages politiques, nos vies lentement nous échappent, notre liberté est comprimée, les droits démocratiques piétinés. Malgré cela, les vagues se suivent, les variants résisteront peut-être au vaccin, une nouvelle maladie apparaîtra peut-être avant d’en avoir fini avec celle-ci, qui sait… Sommes-nous condamnés à être spectateurs/trices d’une crise dont la gestion nous est présentée sans alternative possible ?
IL Y A DES GAGNANTS DE CETTE CRISE Ce qui semble inéluctable ou naturel ne l’est pas. Pendant que nos vies sociales sont sacrifiées, de nombreuses activités sont, elles, autorisées. La plupart des entreprises fonctionnent normalement, les transports publics sont bondés, et des centaines de personnes peuvent consommer en même temps dans un grand magasin. Même le Black Friday a été autorisé.
Afin de permettre cela, les cinémas sont fermés, les réunions associatives rendues impossibles, les petit·e·s artisan·e·s bouclé·e·s, les sportifs/ves arrêté·e·s, les étudiant·e·s atomisé·e·s, les artistes désespéré·e·s, les traitements médicaux normaux repoussés, les enfants masqués, les soirées avec les copains et les copines désespérément numérisées. En sorte qu’on pourrait croire que seul le travail salarié protège du virus.
Ces choix politiques ont servi à protéger les intérêts des plus puissants. D’immenses champs de l’activité humaine productrice de richesse sociale, culturelle, mais aussi économique, sont en contrepartie tout simplement interdites. Pensez qu’on nous interdit même de chanter ! Le coût moral, psychologique et social de cette politique est exorbitant.
UNE SOCIETE STRUCTURELLEMENT MALADE Et cela risque de durer longtemps. Car c’est bien la crise écologique dans son ensemble qui est l’origine principale de la pandémie. Trafic d’animaux sauvages, déforestation, élevage industriel, modification des climats et réchauffement mondial… associés à l’extrême mobilité des humains sur la terre : un cocktail explosif pour l’émergence de pandémies. Les scientifiques nous alertent depuis des années. Il y en aura d’autres.
Pour faire face au virus, le confinement de la vie sociale ne sert qu’à pallier le manque chronique de moyens du service public de la santé. Si nous sommes aussi vite débordés, ce n’est pas tant à cause de la virulence du Covid. C’est que nous payons l’addition de plusieurs années d’austérité budgétaire sacrifiant la vie humaine et la santé.
La crise écologique et la dégradation du service public de la santé sont les véritables sources de notre malheur. Si nous n’agissons pas sur la racine du problème, c’est notre liberté que nous mettons en jeu
«Vous prétendez détenir le pouvoir politique. Régulièrement vous sollicitez même notre vote, notre blanc-seing, pour pouvoir continuer à occuper des postes dans lesquels vous êtes installé-e-s depuis des années. Mais que faites-vous et qu’avez-vous fait sérieusement pour résoudre la question écologique?» Voilà une simple question adressée par le mouvement sur le climat à la classe politique de ce pays. Innocente au premier abord. Dérangeante au deuxième. Dans son plein déploiement, elle est porteuse d’exigences radicales qui frappent au cœur les institutions de la représentation. Car qui veut y répondre avec un minimum de franchise est obligé d’admettre que la profondeur de la question écologique impose une rupture radicale que le pouvoir et la classe politique ne sont pas prêts à concéder et encore moins en mesure de réaliser. Alors, à quoi servez-vous si vous n’êtes même pas en mesure d’assurer les conditions mêmes de notre avenir?
Derrière le prétendu consensus qui entoure le
mouvement de la grève du climat, la sympathie et la soi-disant bienveillance
que lui portent les importants, les officiels et autres notables, se cache une
réalité tout autre: toutes et tous savent que la profondeur de la crise
politique que ce mouvement populaire est en mesure de créer n’en épargnera
aucun-e. Les reines et rois sont nu-e-s face à la question écologique. Et pour
se convaincre de l’état de tension dans lequel ils et elles se trouvent, il
suffit de regarder les tentatives répétées pour comprimer et encadrer le
mouvement: volonté dès le début de sanctionner les élèves faisant grève,
répression policière et judiciaire contre les militant-e-s (voir encadré), ou
encore interdiction pour la manifestation lausannoise du 24 mai 2019 de se
rendre au Château, siège du gouvernement cantonal…
Un mouvement profond à la portée radicale
La Grève du climat et les groupes qui agissent
sur ce terrain constituent mouvement social le plus important que connaît le
Canton de Vaud depuis des décennies – à l’exception notable de la lutte des
femmes et des mouvements de la fonction publique, par la taille des
manifestations, la durée, l’insubordination implicite ou explicite et les
radicalités qui le traversent et le porte. Nous devons en prendre la pleine
mesure. Inventivité, exigence d’auto-organisation, dispositifs de lutte –
grève, manifestation, action directe – comme terrain central pour faire changer
les choses; tout cela nous interpelle et nous instruit.
Ce mouvement est traversé, naturellement, par de
multiples contradictions et limites, qu’il faut résoudre pour avancer. Il est
probablement arrivé à un moment-clef de son développement. Cette échéance va
être tout à fait déterminante pour sa capacité à peser et imposer des victoires
sur le terrain de l’émancipation écologique.
La lutte contre l’hégémonie de l’écologie dominante
Le Conseil d’État a initié une série de
consultations et va proposer un plan d’action climatique, probablement après le
14 juin. Cet élément est sans conteste une première victoire. Mais il va
marquer, encore plus clairement, la reprise d’initiative politique par le
pouvoir et ses représentant-e-s sur le sujet. Nous allons assister (et nous
assistons déjà) à une pression extrêmement forte sur le mouvement pour
prescrire l’agenda, le discours, la représentation, l’orientation et les
revendications de l’écologie politique officielle portée par les Verts, mais
également par les Verts libéraux. Les élections fédérales seront l’occasion
attendue pour elles et eux d’imposer le terrain institutionnel comme centralité
politique, l’étatisme comme seul lieu légitime et possible pour faire avancer
les propositions écologiques.
La lutte pour l’hégémonie sera absolument
déterminante. Il faut mener cette bataille. Car les conséquences d’un tel
processus nous les connaissons. Si le mouvement accepte sa subalternéité, son
caractère soumis à la politique institutionnelle et à la représentation, la
possibilité d’une défaite en rase campagne nous guette. Avec son lot de
démoralisation, de désaroi, de désespoir, de repli sur soi… Et la perte de sens
pour une politique d’émancipation que tout cela entraine. Évidemment, le
mouvement vit avec cette contradiction. Il énonce souvent la demande que «les
politiques agissent». Mais cette inaction est la politique même des
puissant-e-s sur la question écologique. Seule la pression populaire peut
contraindre la puissance publique d’agir pour des avancées écologiques.
Rendre l’impossible, possible et désirable!
Abandonner notre pouvoir au système qui prétend
s’occuper de tout à notre place, c’est lui donner le champ libre pour nous
dicter le possible. Et le possible des puissant-e-s c’est toujours la même
rengaine: la marge est négociable, mais le noyau dur, on n’y touche pas. Le
mouvement doit rendre possible ce qui semble impossible ou inaccessible. Le pouvoir
concède ce à quoi il est contraint. Cela n’est pas une simple formule. C’est le
secret de la politique populaire. C’est d’autant plus essentiel et urgent sur
la question écologique.
Lorsqu’elle est posée sérieusement, et c’est ce qui fait qu’elle est porteuse
d’une grande radicalité, elle ne peut pas se contenter d’une réponse en
demi-mesure, de compromis, de pirouettes, d’illusions d’optique. En un mot, de
capitalisme vert. Le seul possible réaliste sur cette question est l’écologie
d’émancipation. Elle implique la réorganisation complète de notre société. Elle
habite le projet de la transformation sociale.
Il est donc central que le mouvement conserve
son indépendance, son autonomie, sa capacité de pression et de proposition. La
centralité de la lutte et de la construction du rapport de force depuis la
base, par les mobilisations, les manifestations et les grèves doit être
maintenue et amplifiée. Il s’agit bien de contraindre sans cesse le pouvoir
étatique, de le plier au maximum, de lui imposer une politique d’intérêt
général de l’humanité, donc de l’émancipation de toutes et tous, de libération
de la nature de la pression impitoyable de la valorisation capitaliste. Nous
refusons à l’étatique, en tous temps, d’être le représentant légitime de l’intérêt
général. Le mouvement impose ses revendications par la lutte et par la culture.
Ce n’est rien d’autre que de la démocratie plébéienne en acte, la tension vers
l’expropriation du pouvoir de l’État et des capitalistes, et donc la
constitution de notre propre puissance.
Les dangers de l’écologie autoritaire et antisociale
À nouveau, cela est particulièrement décisif
s’agissant du problème écologique. Le risque étant, comme le dit bien Gorz, que
«la prise en compte des contraintes écologiques se tradui[se] par une extension
du pouvoir techno-bureaucratique: en érigeant l’État et les experts d’État en
juges des contenus de l’intérêt général et des moyens d’y soumettre les
individus». La prétendue complexité de l’urgence écologique, la dépendance aux
recherches scientifiques pour nous informer des conséquences de la crise
climatique que nous ne pouvons pas mesurer par nous-mêmes et qui nous
paraissent lointaines, la supposée nécessité de l’autolimitation à imposer:
tout cela ne doit pas servir de prétexte pour exproprier le mouvement de son
pouvoir de faire.
Nous voyons poindre partout l’utilisation
manipulée de la question écologique pour légitimer des réponses autoritaires et
redoubler l’état de siège permanent contre les classes populaires. L’histoire
des gilets jaunes n’est-elle pas partie d’une lutte contre une taxe
supplémentaire frappant le revenu populaire sous prétexte d’urgence climatique?
La crise écologique est aussi une opportunité, un outil puissant pour le
système, afin de radicaliser les attaques qu’il mène sur le terrain social et
démocratique.
Engranger des victoires décisives
Comment faire pour inverser la tendance? Ce qui
semble clef en cette période, ce sont deux choses. Nous formulons dans la suite
de ce texte une série de propositions à ce propos.
Premièrement, il faut mener une offensive
contre-hégémonique sur le récit, la représentation et l’orientation dominants
sur la question écologique. Deuxièmement, il faut élaborer une série de
propositions revendicatives, d’objectifs stratégiques qui permette au mouvement
d’avancer et d’engranger des victoires.
Ce dernier point est décisif. La lutte sur le
plan d’action climatique du Conseil d’État vaudois doit être menée pour imposer
quelques objectifs centraux qui seront autant de victoires, symboliquement et
concrètement pour le mouvement. Il faut intégrer dans la lutte accumulée et ses
exigences radicales des propositions concrètes, plus tactiques, plus rapidement
accessibles, qui seront des points d’appui pour toutes et tous pour prolonger
la lutte, sous toutes les formes qu’elle pourra prendre, et ce y compris après
la période estivale.
Nous nous concentrerons ici sur un des aspects
centraux de la question écologique: le réchauffement climatique. Bien sûr, il y
a également l’effondrement de la biodiversité et les enjeux des pollutions
diverses, que nous traiterons dans un prochain bulletin. Bien qu’il n’épuise
pas la question, l’enjeu synthétisé dans l’augmentation de la température
moyenne de la planète est bien le problème central. Et en cela la question
énergétique est décisive.
Il y a des coupables: désignons-les
La première bataille sur le récit écologique
dominant porte certainement sur les processus de légitimation idéologique qui
visent à naturaliser la prédation contre l’environnement en le présentant comme
le fait de l’humanité entière, homogénéisée, nocive par essence et par
conséquent responsable du réchauffement climatique. Cette thèse qui circule de
plus en plus souvent sous l’étiquette de l’«anthropocène» est fausse et doit
être combattue. Non seulement elle ne correspond pas à la réalité, mais elle
vise à culpabiliser la population, à légitimer des solutions autoritaires
seules à même d’imposer une orientation «rationnelle» contre une humanité
«irrationnelle et dangereuse» et, surtout, à invisibiliser les véritables
coupables du réchauffement climatique. C’est l’hypothèse détestable du
despotisme éclairé.
Il faut contester cette notion abstraite d’une
humanité unie dans la valorisation du capital, soumise à l’ordre du pouvoir
séparé. Le productivisme et une prédation universelle qui seraient
consubstantielle à l’être humain veut imposer cette signification centrale
qu’il n’y aurait aucune distinction entre les groupes sociaux, masquant les
inégalités de pouvoir, sociales et environnementales. Il y a une histoire de la
prédation sur la planète, comme il y a une histoire de l’exploitation et de la
domination. Il y a une histoire des transitions énergétiques et de la mise en
place du modèle productif.
Il faut rendre visibles les relations
conflictuelles entre les forces sociales car elles ont mené à la prééminence du
modèle énergétique actuel, fondé sur les énergies fossiles et sur la
marginalisation des énergies renouvelables. Le choix productif d’un capitalisme
fondé sur les énergies fossiles est – et a été – sans cesse déterminé par le
mouvement de captation et de prédation du Capital sur la force de travail.
Le modèle productif fondé sur les énergies fossiles pour les intérêts des capitalistes
Cela est vrai, comme le montre Andreas Malm, à
la fois dans l’Angleterre victorienne où le choix porté sur le charbon plutôt
que sur l’énergie hydraulique et a été essentiellement déterminé par le besoin
des capitalistes d’avoir des travailleurs/euses concentrés aux mêmes endroits
pour les mobiliser. En effet, l’énergie hydraulique n’était disponible que dans
les campagnes, contrairement au charbon qui lui est mobile et peut être amené
dans les centres urbains. Il n’y a donc pas une progression linéaire du
développement des sociétés, déterminée par ladite nature humaine, pour
justifier l’utilisation du charbon. L’énergie hydraulique était d’ailleurs
beaucoup plus efficace et bon marché. Il s’agit bien d’un rapport social
particulier, tributaires des rapports de classe, qui a transformé le charbon en
ressource nécessaire pour le développement industriel fondé sur l’appropriation
privée des moyens de production.
Cela est aussi vrai aujourd’hui pour ce qui
constitue la principale cause du réchauffement climatique: le développement
capitaliste industriel récent, avec notamment le circuit de production
d’électricité par le charbon qui sert à alimenter les structures de productions
dans les centres industriels asiatiques, par exemple chinois. C’est le modèle
industriel mondialisé, qui est le principal responsable des émissions de gaz à
effet de serre: le capital cherche à produire, au moindre coût de la force de
travail, des marchandises et des services destinés à l’exportation,
essentiellement vers les pays occidentaux. Avec tout ce que cela implique de
nouvelles infrastructures, de combustibles fossiles pour le transport, de zones
nouvelles subissant violentes prédations pour l’accaparement des ressources.
Il n’y a pas d’humanité coupable
Encore aujourd’hui, l’action conjointe des
appareils étatiques et des centres du capital financier, continuent
d’hyperdévelopper les infrastructures d’exploitation et de transformation de
l’énergie fossile. Contrairement à ce qu’on nous annonçait au début du
millénaire, ces ressources sont très loin d’être frappées par la pénurie. Tout
ce tissu productif de l’énergie non renouvelable constitue à lui seul un
secteur central de valorisation que les capitalistes défendront bec et ongles.
Il n’y a donc ni humanité coupable, ni
«irrationalité» d’un bloc, où nous coexisterions avec les puissants, qui ne
verrait pas la réalité en face. Il y a des intérêts bien compris d’une classe
dirigeante et possédante d’un côté, et une organisation du modèle productif
correspondant de l’autre. La première étant à l’évidence maintenue dans sa
position de pouvoir et de privilèges par la seconde.
La Suisse est exemplaire à cet égard. Ce pays
est la première puissance industrielle mondiale si l’on se réfère à son nombre
d’habitants. Et, grâce à une politique fiscale avantageuse, c’est également le
siège de très nombreuses multinationales qui sont au commandement d’un tissu
productif hautement polluant et responsable du réchauffement climatique…
Il n’y a pas d’autres voies que l’affrontement avec le système
Qu’est-ce que tout cela nous dit? La question
écologique est, fondamentalement, une question d’institution sociale et de
pouvoir. Il ne s’agit pas de propagande, ou d’une illusion portée par notre
désir ardant d’une transformation sociale radicale et d’une émancipation
écologique. Les problèmes actuels sont bien intimement liés au modèle
capitaliste et étatique. Donc à la propriété privée, à un mode de production
basé sur l’exploitation du travail humain et de son corps inorganique qu’est la
nature, au pouvoir séparé qui construit l’institution de la société.
Bien sûr, le capitalisme peut être «verdi» dans
un nouveau cycle de valorisation. Avec un catalogue «technique» ce serait même
tout à fait envisageable. Toutefois, les investissements nécessaires et la
perte sèche d’infrastructures non recyclable représentent un coût que les
capitalistes ne sont pas prêt-e-s à payer, dans l’actuel rapport de force. Par
conséquent, de nouveaux éléments de traitement du réchauffement climatique ne
sont envisageables qu’à partir de l’affrontement avec le système capitaliste
tel qu’il s’est construit jusqu’ici. Même une mutation réformiste est
inenvisageable sans une confrontation d’envergure. A fortiori, l’imposition d’une transformation profonde du modèle
productif peut et doit se faire par une socialisation du pouvoir et de la
richesse. Donc par un déploiement de notre puissance.
Le consommateur occidental: coupable idéal autant qu’attendu
Le discours écologique porté par le bloc dominant, refuse de parler de la propriété privée ou du travail exploité qui sont les intouchables de l’écologie. Pourtant, ce sont bien les capitalistes en situation de propriétaires qui ont le pouvoir sur l’appareil productif. Redisons qu’il s’agit là de la cause centrale du réchauffement climatique. Le refus de cibler les véritables coupables permet de désigner la consommation individuelle comme le lieu problématique essentiel: les propriétaires des moyens de production restant neutres, passifs, épargnés (à l’abri) des regards et des luttes. Ainsi on blâme le consommateur, voire le/la travailleur/euse occidental-e ordinaire porteur/euse de tous les maux…
Il est certes vrai qu’en tant qu’individus des
pays dits riches, nos choix individuels peuvent avoir une certaine influence.
Mais l’essentiel n’est pas là. Il faut casser la conception qui vise la
consommation populaire comme responsable et qui vise à prendre des mesures
antisociales comme les propositions de taxes sur les biens de consommation
courante.
Pour le dire rapidement, il n’y pas de
«responsabilité individuelle» déterminante liée à une consommation «libre» sur
le marché, qui serait antiécologique. Il y a un problème social. Notre
consommation est essentiellement déterminée. Prenons un exemple. On nous dit
qu’il faudrait aller à vélo au travail ou du moins d’utiliser les transports
publics. Déjà, il serait nécessaire que ces derniers soient efficients et
couvrent les besoins. Mais, surtout, n’oublions pas que dans les pays de
l’OCDE, le trajet moyen entre la maison et le travail est d’1 h 30 quotidienne.
Les nouvelles métropoles, la périphérisation des classes populaires, la
mobilité imposée à la force de travail, la durée du travail salarié: tout cela
ne résulte pas d’un «choix individuel», mais d’une construction politique,
sociale et spatiale déterminée.
Ce piège qui consiste à reporter sur la sphère
individuelle la responsabilité du changement basée uniquement sur son
comportement propre et relatif à son niveau de consommation, fait partie de ce
même levier actionné par les classes dirigeantes au pouvoir pour détourner
l’enjeu de la sphère collective, véritable force potentielle de changement.
Alors que nous affrontons tous les jours des
attaques sur nos conditions de vie, nous refusons que la transition écologique
soit inviqué pour nous asservir davantage. C’est la grande leçon des gilets
jaunes. Et ce, y compris sous un prétexte formellement antiproductiviste: il y
a de nombreux secteurs qui contribuent au bien commun dont le niveau de
production devrait être augmenté.
Construire la république autogérée sociale et écologique
Un mouvement populaire qui porte les
orientations stratégiques et les revendications de l’écologie sociale doit
construire une politique et affirmer des intérêts qui répondent aussi aux
aspirations sociales, démocratiques et populaires. Autant le pouvoir peut
utiliser la question écologique comme arme contre nous, autant nous
devons rendre possible et désirable cette transition écologique nécessaire en
imposant une transformation sociale et démocratique radicale.
Nous proposons de porter un projet de république
autogérée sociale et écologique qui puisse faire converger les forces de
transformation sociale et instituer un horizon et un imaginaire désirable. Nous
ne détaillerons pas ici cette proposition en construction. Contentons-nous,
d’en évoquer quelques orientations stratégiques liées à la question écologique.
Affronter la propriété privée prédatrice de la nature: socialiser la richesse et le pouvoir
La question démocratique radicale est centrale
pour la transition écologique. Il n’y a pas d’imposition d’une transition
énergétique sans l’expropriation et la socialisation des grandes
infrastructures, des industries et du service public. La propriété collective
publique démocratisée et à l’autre bout le renforcement du pouvoir du salariat
est décisif pour orienter les processus productifs vers les besoins
écologiques. Les décisions nécessaires ne seront pas prises par le privé et
l’État avec leur orientation court-termiste sur les profits. Il s’agit de
s’attaquer à la propriété privée et à son pouvoir.
La transition écologique nécessite une
importante socialisation de la richesse produite pour financer le développement
et la gratuité des services publics nécessaires comme les transports publics,
ou un service public du logement et des espaces urbains collectivisés. Cette
socialisation doit permettre, également, par le biais, par exemple de caisses
populaires d’investissement écologique financées par la cotisation et gérées
démocratiquement, d’investir massivement dans les nouvelles infrastructures et
notamment dans les nouvelles formes d’énergie.
Aux besoins de transformation profonde des
infrastructures énergétiques et du service public, il faut ajouter la
centralité de la recherche dans le processus de transition écologique. Dans un
canton où une des plus grandes écoles polytechniques au monde a son siège, il
est décisif d’orienter la recherche scientifique et technologique vers
l’utilité écologique, sociale et le bien commun. Pour cela il faut des
investissements socialisés massifs et surtout combattre le modèle aujourd’hui
des EPF qui oriente le travail scientifique uniquement vers la production de
marchandises potentiellement vendables sur le marché et pour le transfert
gratuit et massif de savoir et de technologie aux entreprises. Nous avons
besoin d’un service public de la recherche et cela nécessite également une
transformation radicale de l’école pour permettre à la majorité d’accéder aux
plus hautes qualifications.
Pour résumer simplement. La transition écologique pose deux questions: qui paie? et qui décide? À cela nous proposons que le mouvement sur le climat réponde par la socialisation de la richesse et du pouvoir. Par la construction de la république autogérée sociale et écologique.
La municipalité de Lausanne et le Conseil d’État vaudois doivent cesser de jouer les tartuffes
Les opérations de
répression par l’amende et les poursuites judiciaires contre les militant-e-s
du climat doivent cesser. Les menaces également. Les sanctions qui risquent de
frapper le mouvement se comptent en dizaines de milliers de francs pour des actions
relativement symboliques: occupation d’un pont pendant une heure, occupation
des locaux de Crédit suisse et des Retraites populaires… C’est inacceptable. Il
s’agit là d’une lutte dans les luttes absolument décisives pour préserver la
capacité d’action du mouvement!
Nous avons tenu il y a quelques notre première séance de lecture critique du livre d’Alexandre Cukier, « Le travail démocratique ». Comme nous l’avions fait pour quelques textes de Bernard Friot, nous publierons bientôt un Cahier reprenant les contenus de notre présentation et quelques éléments du débat.
Nous aurons bientôt une deuxième lecture critique du livre de Chantal Mouffe, « Pour un populisme de gauche ». Nous vous invitions donc à cette rencontre :
Lundi 8 avril 19 heures Maison du Peuple, place Chaudron, Lausanne Salle indiquée à l’entrée de l’immeuble
L’organisation de cette deuxième lecture critique répondra au même cadre que la précédente. Le débat est ouvert à celles et ceux qui ont lu le livre, partiellement ou totalement, ou qui ne l’auront pas abordé.
Nous travaillerons sur les points suivants :
Politique de consensus ou politique de dissensus, le conflit comme base et comme clé
Peuple et oligarchie, pour la construction d’une nouvelle frontière entre dominant.e.s et dominé.e.s
La crise de la démocratie représentative et plus largement institutionnelle (y compris les formes dites de « démocratie semi-directe »)
Qu’est-ce que la post-démocratie ?
Construire la camp populaire, mobilisations des intérêts, des affects, des émotions, des imaginaires
Radicaliser la démocratie, limites, ambiguïtés et faux-semblants d’une conception stratégique majeure
Politique de la délégation et construction de l’autonomie populaire
Conférence et débat sur la lutte des gilets jaunes, et sur les perspectives qu’offrent cette mobilisation dans notre pays organisé par l’Association d’éducation populaire Branche suisse et du Réseau salariat (www. reseau-salariat.info):
jeudi 7 février 2019, à 19h CGAS (salle L) Rue du Terreaux-du-Temple 6 -1201 Genève